Le rôle stratégique et passionnant du “Food Safety Specialist” dans l’industrie agroalimentaire
Dans chaque usine agroalimentaire il y a (ou il devrait y avoir !) un(e) “Food Safety Specialist”, aussi connue sous le nom de responsable sécurité alimentaire.
Mais connaissons-nous bien ce job qui est aussi stratégique que passionnant ?
Pour creuser le sujet, nous sommes allés demander à un professionnel reconnu, François Bourdichon, de nous décrire son métier.
François, peux-tu nous expliquer quel est le rôle du.de la Food Safety Specialist (FSS) ?
Certains disent que le rôle du FSS est de mettre en place les mesures de contrôles adéquates pour “ne pas blesser les consommateurs”, mais en réalité c’est bien plus que ça.
Il a également une responsabilité envers les salariés de l’usine, l’image de la marque et les actionnaires. On voit clairement les multiples impacts qu’a eu la contamination dans l’usine Buitoni de Nestlé à Caudry (décès de 2 personnes, impact sur les ventes puis fermeture de l’usine).
Bien souvent le FSS est vu comme le pompier de service. Mais attention, le pompier à deux rôles, celui d’éteindre les feux (correction), mais aussi et surtout celui de faire de la prévention pour éviter les feux. Parce que quand il y a un feu, c’est que le travail de prévention / éducation n’a pas été fait, du moins pas correctement.
Le rôle du.de la FSS est donc d’anticiper pour se préparer aux différents problèmes possible identifiés (Travail d’appréciation des risques, “Risk Assessment”).
Est-ce que tu peux nous donner un exemple concret ?
Sur une ligne de production, il y a toujours un appareil qui va avoir un problème, par exemple, une perte d’étanchéité, et fuite sur un tuyau où passe le produit. Au lieu d’arrêter la ligne et de réparer, il arrive encore que certains opérateurs décident de colmater avec du ruban adhésif… ce ruban (très rarement habilité au contact alimentaire) finira par s’user aussi et se retrouvera dans le produit. En savoir plus sur cette histoire ici.
Donc au lieu de stopper la ligne quelques heures et prévenir les services compétents (maintenance), l’usine a perdu une production entière (sans compter l’impact sur la marque). Le pire dans cet exemple, c’est que personne n’a eu le bon sens de réagir. Cette situation a donc perduré dans le temps et n’est pas un cas isolé. Le.la FSS aurait dû arrêter la ligne de production le temps et demander à faire faire cette réparation. Oui, cela aurait eu un coût, mais c’est le travail de chaque opérateur d’assumer correctement son poste en protégeant le consommateur, la marque et l’entreprise !
Le.la Food Safety Specialist doit garantir un niveau de risque acceptable, en gardant à l’esprit le mantra de la FAO; “if it is not safe, it is not food !”
Est-ce que le.la Food Safety Specialist doit prendre en compte la problématique économique dans ces décisions ?
Oui, le job du FSS est de sans arrêt faire des analyses bénéfices risques. On parle dans le cadre des accords SPS de l’OMC (Sanitaires & PhytoSanitaires de l’Organisation Mondiale du Commerce), de niveau de risque acceptable (ALOP, Acceptable Level of Protection) qui se traduit au niveau de l’industrial par l’objectif de sécurité des aliments (FSO, Food Safety Objective)
On aimerait tous avoir la possibilité de travailler dans des usines neuves avec du matériel dernier cri, mais économiquement ce n’est pas possible.
Il faut donc adapter ses pratiques à l’outil disponible, quitte à mettre en place un certain nombre de points de vigilances supplémentaires…. jusqu’au jour où ce n’est plus possible et qu’il est alors temps d’en changer ! (surtout quand l’investissement initial est amorti depuis longtemps)
Finalement n’est-ce pas un peu frustrant d’être FSS ?
Bien sûr, ça peut l’être !
On se retrouve souvent face à des interlocuteurs qui nous répondent: “on a toujours fait comme ça et on n’a jamais eu de problème”. C’est sans aucun doute la phrase la plus dangereuse que l’on puisse entendre en entreprise (et pas seulement en agro-alimentaire). Donc soit on laisse passer et on attends l’incident qui finit toujours par arriver, soit il faut se “battre” en interne pour faire comprendre les risques !
J’ai toujours opté pour la seconde option, et celà nécessite beaucoup de communication, persuasion, empathie pour arriver à ce que le message soit entendu. Et on aimerait tellement que celà puisse se faire plus vite.
Il faut souvent prendre des exemples de la vie de tous les jours, par exemple comme rouler en voiture sans ceinture. Tant qu’on n’a pas d’accident, et qu’on n’a pas reçu la bonne éducation, on ne voit pas où est le problème. Le jour où on percute un obstacle, il est trop tard pour réagir.
Quel est la position du FSS au sein de l’entreprise ?
En industries agroalimentaires, le.la FSS est le plus souvent rattaché(e) à la qualité, qui est indépendante de la production. Parfois au sein des services R&D, voire dans certains cas, la Food Safety peut même être totalement indépendante.
Food Safety Specialist et Quality spécialiste, c’est la même chose ?
Pas du tout, ce sont deux métiers complètement différents. Je pense même dangereux de croire que c’est la même chose. On voit de plus en plus d’organisations où il n’y a qu’une seule personne pour tout faire sous un rôle chapeau de QHSE (Qualité, hygiène, sécurité, environnement), ce que je ne pense pas crédible tant les domaines de compétences sont différents !
Le Quality Spécialiste va suivre des référentiels et des normes qualité, ainsi que la conformité du produit par rapport au standard de production et la cible produit. C’est un travail clé de “Gardien du Temple”.
Le.la Food Safety Specialist, c’est un peu plus Dr House, mode poil à gratter.
Il.elle doit investiguer, identifier les dangers, les anticiper dans des domaines très larges comme la microbiologie, la toxicologie, les allergènes, les corps étrangers, etc… Il n’y a pas vraiment de référentiel unique, ni de normes pour ça, si ce n’est le code de bonne pratique d’hygiène du Codex Alimentarius qui est un document très très général… Et il doit aussi connaître le contexte réglementaire !
Et quel est le rôle du laboratoire de contrôle qualité par rapport au FSS ?
Le laboratoire, microbiologie et chimie: c’est le bras armé de la qualité et du.de la FSS, ou plutôt sa paire de jumelles. Il permet au FSS de l’aider lors des investigations… un peu comme le labo d’analyses médicales ou la radiologie pour le Dr House 😉 !
Quelles qualités faut-il pour être un(e) bon(ne) FSS ?
Il faut des connaissances techniques très diverses comme la microbiologie, la toxicologie, les processus de fabrication, etc… . Mais il faut surtout de bonnes capacités de communication pour comprendre et se faire comprendre des autres.
Le FSS doit interagir avec des interlocuteurs très différents comme la R&D, la production, la maintenance, le marketing, il faut donc être capable de beaucoup d’empathie pour comprendre les attentes et s’adapter pour faire passer les bons messages… qui ne sont pas toujours faciles à comprendre. Il y a donc un travail de vulgarisation.
Ou peut on se former pour devenir FSS ?
Il n’y a pas vraiment de formations dédiées en France malheureusement, pas assez en tout cas quand on voit le besoin des entreprises.
Beaucoup de FSS avec une vision terrain sortent de l’ESMISAB (Brest) ou de l’ESA d’Angers.
Quels conseils donnerais-tu à un FSS ?
Je commencerais déjà par le.la féliciter et remercier de faire ce métier.
Je conseillerais ensuite de ne surtout pas négliger le pouvoir de la communication.
Le FSS est souvent une personne qui peut se faire mal voir en interne, tout simplement parce qu’elle annonce les mauvaises nouvelles. C’est donc important de “bien vendre” ces mauvaises nouvelles, d’être dans l’explication, la formation. Jamais le “name and shame”, même si c’est parfois tentant….
Nous sommes là pour aider l’usine et les personnes qui y travaillent.
Il ne faut jamais oublier: “if it is not safe, it is not food” !
Donc oui, le.la FSS est bien “business oriented”. Si on ne produit pas un produit sain, on ne peut rien vendre.
La sécurité sanitaire des aliments, c’est la liberté d’action : Food Safety, It’s Freedom To Operate.
Plus d’information sur le 7 Juin, journée internationale de la sécurité sanitaire des aliments.
Merci François Bourdichon !
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